10 décembre 2000 - 10 décembre 2013, il y a 13 ans, jour pour jour, mon grand père nous quittait. J'avais 11 ans. Je me souviens de la foule en larmes chez nous, du tissu africain porté par la plupart des personnes présentes (comme on fait chez nous en Afrique pour rendre hommage à la personne décédée), ce pagne n'est d'ailleurs plus celui que je préfère. J'entends au loin les cris et les pleurs, les chants religieux. Je me souviens du visage de ma grand-mère, crâne rasé, rituel obligé pour toute veuve, en tenue blanche. A mon âge, je devais penser qu'elle était triste, mais en grandissant j'ai su que la tristesse ne suffit pas pour décrire cela. Le sentiment de vide qui s'installe est beaucoup plus grand.
Je me souviens de ma mère: personne ne souhaiterait voir sa mère dans un tel état, pleurer ainsi toutes les larmes de son corps. Je me souviens de m'être agrippée à elle, comme toujours lorsque quelque chose n'allait pas. Mes sœurs ont fait pareil. A cet âge là, à défaut de lui murmurer des mots qui la réconforteraient, nous voulions lui faire savoir que nous étions simplement là.
Je me souviens de ma mère: personne ne souhaiterait voir sa mère dans un tel état, pleurer ainsi toutes les larmes de son corps. Je me souviens de m'être agrippée à elle, comme toujours lorsque quelque chose n'allait pas. Mes sœurs ont fait pareil. A cet âge là, à défaut de lui murmurer des mots qui la réconforteraient, nous voulions lui faire savoir que nous étions simplement là.
Le plus dur ce jour-là, cette image que je garde depuis toutes ces années et à laquelle j'ai repensé toute la journée, c'est lui. Cet homme qui a donné naissance à ma mère, auprès de qui j'ai passé une bonne partie de mon enfance, cet homme accro à sa coupe de cheveux teints en noir le plus possible, toujours élégamment habillé, cet homme dont je ne me souviens que très vaguement des blagues, des conseils, cet homme était allongé, là, dans ce coffre en bois rectangulaire. Je me souviens de m'être rapprochée précipitamment espérant sans doute le voir cligner des yeux et me dire que tout cela n'était qu'un affreux cauchemar. C'était le premier enterrement auquel j'assistais. Pauvre petite, tous les rêves ne se réalisent pas. Il n'a jamais ouvert les yeux, il ne m'a plus jamais regardé, plus jamais répondu pourtant je criais son nom, il ne m'a plus jamais souri. Je me suis retournée en pleurant et ne suis jamais retournée dans le salon où était présenté son corps.
C'était la dernière fois que je le voyais.
La journée d'aujourd'hui m'a rendu particulièrement triste parce que non seulement elle me rappelle, comme chaque année à la même période, la perte immense de mon très cher grand-père, mais, aussi parce qu'il a été rendu en Afrique du Sud, un hommage, des plus touchants, à une légende, un homme incroyable: Nelson MANDELA.
Je ne vais pas raconter la vie de Madiba, les périodes clés de celle-ci, sa lutte sans armes pour un monde en paix face à des adversaires qui n'avaient pour eux que la violence, le mépris, la haine. Je ne parlerais pas de sa conviction, de ses idées puissantes, de sa détermination. Non pas que l'envie m'en manque mais je crains de ne pouvoir trouver les mots justes, en tout cas pas assez, pour parler de cet homme.
Un homme? En était-ce vraiment un? Quel homme agirait de la sorte?
Ce n'est pas humain de se sacrifier, de se battre corps et âme, pour donner aux autres la chance de vivre heureux, avec pour seule arme: des idées.
Ce n'est pas humain de vouloir un monde dans lequel tous les hommes, peu importe l'origine, peu importe la couleur de peau, vivraient paisiblement ensemble, bénéficiant des mêmes droits, ayant les mêmes devoirs, et se sachant mutuellement forts et heureux.
Ce n'est pas humain de ne pas ressentir du mépris, de la rancune, de la vengeance envers ceux qui nous blessent, ou du moins de ne pas le montrer et de choisir de poursuivre sans. Ce n'est pas humain de garder tant d'espoir, tant de bonté et de patience.
Ce n'est pas humain de faire ce genre de déclaration:
"J'ai chéri l'idéal d'une société libre et démocratique dans laquelle tout le monde vivrait ensemble en harmonie et avec des chances égales. C'est un idéal pour lequel j'espère vivre et que j'espère accomplir. Mais si nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir".
Je pense que seul un Saint peut vivre la vie qu'il a vécue et donné ce qu'il a donné, comme il a donné.
Je laisse aux médias le discours officiel. Qu'importe la manière dont il est présenté, transformé et redit, je pense que chacun de nous a sa propre vision de cet homme. Chacun se souvient et se souviendra de lui à sa manière.
Je garde le souvenir d'un grand-père qui aura défendu ma cause, pris soin de moi, de mon continent et au final du monde dans lequel je suis née. Un grand-père qui m'aura enseigné, transmis des valeurs que l'homme, aveuglé par ses propres intérêts, n'est pas capable d'avoir.
Tel un grand-père, il m'aura appris qu'en toutes circonstances le courage, la détermination, l'intelligence, la persévérance et la foi sont les armes les plus puissantes. "Je rends grâce à Dieu pour mon âme invincible, je suis le maître de mon destin, le capitaine de mon âme" disait-il. Il m'aura enseigné que la liberté ne se gagne pas par la colère, que le désir de vengeance n'en vaut pas la peine.
Il m'aura transmis toutes ces leçons de vie que l'on n'apprend pas à l'école mais qui nous rendent tout aussi intelligent(e). Quelle source d'inspiration...
Ai-je eu besoin de le connaître personnellement, de lui parler, de le rencontrer pour me sentir aussi mal, aussi seule? Pour pleurer comme je l'ai fait? Non.
C'est cet impact qu'il a eu en Afrique du Sud et dans le monde, qui fait de Madiba un homme hors du commun qui restera à jamais dans l'Histoire et dans nos cœurs.
Après une journée passée à ressasser tout ceci, je me suis dis ce soir que je pouvais sourire, sans tristesse, sans rancune. Mes grands-pères avaient enfin la liberté qu'ils méritaient.
- Le cancer a été un ennemi beaucoup trop puissant pour toi pépé:
Je peux sourire parce que tu te reposes enfin paisiblement et ne t'affaiblis plus à chaque respiration.
- A toi, Madiba:
Je peux aussi me permettre de sourire parce que ça y est, tu n'es plus malade et tu as enfin la paix et la liberté que tu as tant méritées. Je peux sourire parce que tes enseignements vont demeurer à jamais. Je souris parce que je me rends compte aujourd'hui de la belle et ardue cause que tu as défendue. Je souris parce que je réalise que nous avons gagné, que tu as tout simplement et majestueusement gagné ce combat. Merci de me rendre fière d'être Africaine et fière d'avoir assisté à cela.
Ensuite, j'ai prié le Seigneur pour qu'Il prenne soin de vous comme vous avez pris soin de moi, de manière directe pour l'un ou indirecte pour l'autre. Je LUI ai demandé de toujours vous garder auprès de lui. Surtout, je lui ai demandé de vous dire que je n'aurais pas souhaité avoir de meilleurs enseignants. Mes profs d'école m'ont enseigné les sciences, Vous m'avez enseigné la vie. J'espère transmettre vos valeurs aux générations futures que je serais amenée à rencontrer.
Enfin, j'ai demandé à Dieu qu'IL vous donne à jamais le sourire et la paix que vous méritez. A toi Madiba pour le magnifique travail que tu as accompli et pour le sourire que tu as mis sur nos lèvres. A toi, pépé, parce que l'un des rêves d'une petite fille est de voir ses grand-parents heureux à jamais.
With LOVE
Luce
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